Poulpe fiction

J’ai mis deux plombes à me préparer ce matin. Je n’arrivai pas à me raccorder, soit la prothèse refusait de rester entre mes dents, soit les filaments qui étaient sensés s’accrocher derrière mes oreilles, glissaient et faisaient un amas innommable. Ma mère tournait autour de moi inquiète, comme une moule accrochée à son rocher.
– Tu es sûre que tu veux y aller à cette immersion?
Je l’ai regardé d’un air outré : ne pas aller à l’Immersion d’Océane, ma meilleure amie, je lui devais bien cela maintenant qu’elle avait choisi de ne plus vivre parmi nous, les Rescapés.
– Tu as pris tes pastilles d’iode ? ta réserve d’oxygène complémentaire ? demanda ma mère.
– Oui, oui, fis-je en partant et refermant la porte du sas qui m’emmena vers le monde extérieur. Ma mère avait choisi de rester cloîtrée dans son appartement, à l’air filtré et irréprochable, mais je ne pouvais rester confinée dans cette atmosphère stérile. Ravitaillée par les hommes dauphins, sans contacts autres que ceux d’un écran…

J’étouffais plus à l’intérieur de ce quatre pièces qu’à l’extérieur, même avec la prothèse indispensable à ma respiration. Serrer les dents et respirer lentement, pas de gestes brusques. Le temps de survie sans le « poulpe » comme on l’appelait avec les amis étais de l’ordre de deux minutes.
Je sortis enfin. Varech m’attendait en bas de l’immeuble qui nous servait de nid.
– Prête pour la cérémonie d’immersion ? fit-il avec un pâle sourire derrière ses tentacules violets.
Son petit hors-bord pris le canal Cinq-Martins. Je remarquai alors qu’il avait lui aussi mis à prothèse neuve de pieuvre comme un hommage à Océane. Ses yeux verts pleins de larmes ne l’empêchait pas de filer bon train et les 5 kilomètres entre le bassin de la Vaudevillette et le canal de l’Orque furent parcourus en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Il faut dire qu’avec l’alerte à l’air niveau 34 qui subsistait depuis le début de cette année 2 334, peu de gens sortaient. Je m’abstins de mettre la main par dessus bord, l’eau salée pleine d’algues ne m’inspirait pas ce matin, j’étais encore hantée par la vison d’Océane qui avait retiré sa prothèse hier en criant, « mieux vaut ne plus vivre que vivre ainsi », avant de sauter de la tour Eiffelle (324 mètres dont 124 au dessus du niveau de la mer). Une mer verte qui l’avait aspirée et digérée.

 

poulpe

Michael Burton et Michiko Nitta, AlgaCulture, 2012.

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Projet 52 Nuances de verts avec le sujet « mer»