
Quand John Johnson Junior (JJJ pour les intimes) m’a appelé, l’air ennuyé et qu’il m’a expliqué l’impasse où se trouvait l’enquête, je n’ai pas pu résister. Je lui ai dit « tu peux compter sur moi pour cette enquête internationale » et j’ai ajouté : « Tu as mis qui sur l’affaire ? ».
Il m’a dit » j’ai eu l’idée de prendre les meilleurs : il y a Brunetti à Venise, Harry Bosh à Los Angeles, Kurt Wallander à Ystad, Kay Scarpetta à Miami, C. Card se charge de San Francisco et de Babylone et toi, Gabriel, de Veules-les-Roses. Moi, je reste à Paris bien sûr pour coordonner l’enquête. »
– Il faut m’en dire plus sur ton lascar ! ai je lâché.
– Incendiaire, a-t-il repris, dangereux, expérimenté ! Un serial fire-raiser (1)
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Le modus operandi m’a fait frissonner : le coup du néon fondu pour égarer les soupçons, je l’avais jamais vu, du grand art. La section Anti-incendie s’arrachait les cheveux en analyses diverses et en perdait le sommeil. Une vraie torture de perdre le sommeil !
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J’ai pris le bus depuis Rouen (avec une pensée émue pour Brunetti et sa Fiat, Kay Scarpetta dans sa Pontiac, Kurt dans sa Volvo hybride, Harry dans sa Rolls et C. Card dans son tramway à San Francisco et sur son âne en Babylone)
Drogué d’air pur et d’embruns, je me suis pointé à la brasserie Victor Hugo de Veules-les-Roses pour interroger le patron.
Veules-les-Roses, un 24 octobre, y’avait pas un chat, la plage et les rues étaient vides, comme abandonnées, rapport à un temps d’octobre qui virait à la pluie glaçante. J’aurais dû demander Miami comme affectation mais je parle mieux normand que Miamien. En parlant de Miam, j’ai ressenti une petite faim et j’ai demandé à la serveuse qui rigolait avec le barman quel était le plat du jour : « rôti de veau et brocolis » m’a dit Fatima. « Le patron est au piano et peut vous servir dans un 1/4 d’heure ».
J’ai dit banco avec bonne humeur même si je me suis dit que Brunetti devait se gaver de pizza Calzone à Venise, Harry d’entrecôte saignante à Los Angeles, Kurt de Hareng à la confiture d’airelle à Stockholm, Kay de scampis/prosciutto e melon – en Floride et C.Card de crabs cake à San Francisco ou de Tajine à Babylone.
Un petit bol de cidre m’a aidé à faire passer le veau (j’ai laissé tomber la bière, ordre du docteur, avec une pensée émue pour l’aperol spritz de Bruneti, la bière de Harry, le glögg de Kurt(2), le double Whisky de Scarpetta et le lait de brebis de Card – s’il était à Babylone à ce moment là).
Le repas se passait bien : le cuistot poussait l’arpège et l’adagio à son comble, Fatima se prenait pour Nathalie Wood dans West Side story en amenant les plats. Le feu ronronnait dans la cheminée, mes besoins en aliments et en chaleur étaient comblés….
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Au moment de la tarte au pomme saupoudrée de cannelle, j’ai vu, dans une brume délicieuse et pleine de poésie, Brunetti manger une glace italienne « bravissimo » sur la place Saint-Marc (Dolce Vita), Harry grignoter un cookie, Kay avaler un cheese-cake à Key West (Miami vice), Kurt déguster un Appelkaka, et C.Card s’enfiler des dattes fourrées à Babylone.
C’est bien de bosser dans une équipe internationale, cela permet de voyager par procuration et le voyage embellit la vie.
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Pendant que je me restaurais, profitant de la plénitude d’un repos mérité, j’entendais Fatima glousser avec le barman à la carrure de pompier et je tendais l’oreille : » le Bâtard pour le moment, personne ne connaît le père » disait l’athlète.
– C’est vrai qu’elle a un peu le feu au C.. , la Michelle, renchérissait Fatima, crescendo, ne se rendant pas compte qu’avec la salle déserte j’entendais tout..
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L’air de rien, le ventre en avant d’un trop-plein de victuailles, je notais ces infos primordiales sur mon calepin (Brunetti et Kurt en ont un aussi, Kay a un iPad, Harry tout dans la tête, C.Card écrit avec une plume sur un parchemin comme à Babylone en 2 500 avant JC)!)
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– Le feu au C.. !! J’en suis resté bouche-bée et intérieurement j’ai crié « Youpi » : l’enquête prenait enfin une toute autre dimension : l’incendiaire présumé allait bientôt avoir en plus à répondre d’une recherche en paternité. C’est JJJ qui allait être content de cette poussée dans l’enquête. (Selon Fatima, le bambin était venu au monde après seulement 3 poussées de la belle Michelle … Et sans déchirement utérin …)
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Frissonner, vide, humeur, plume, embellir, enfin, sommeil, drogué, impasse, poésie, torture, plénitude, trop-plein, youpi, énergie, absence, temps, dénuement, bol, idée, déchirement, bus, abandonné
je n’ai pas mis « absence » et « dénuement »
et ma collecte d’italianismes que vous pouvez retrouver ici.
Brocoli – cannelle – adagio – arpège – pizza calzone – bambins – bravissimo – piano – crescendo – calepin – dolce vita – l’aperol spritz – prosciutto e melon – scampis –
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(1) Incendiaire en série
(2) Vin chaud
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Petite devinette subsidiaire : Qui est Gabriel ?
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PS : je pars ce week-end (pas sûr qu’il y aie du réseau ….)
bisesss