
Après le coup de coeur que j’ai eu pour la Horde du Contrevent, j’ai souhaité relire Alain Damasio.
J’ai emprunté ce recueil de 10 nouvelles à la bibliothèque et à nouveau coup de coeur. Alain Damasio a une écriture à la fois poétique et réaliste. Les thèmes qu’il aborde me parlent, me chuchotent à l’oreille et me transportent dans un autre monde.
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Pour vous donner envie, voici ce que j’en retiens :
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Les hauts Parleurs : Dans un futur proche, le langage a été privatisé et les personnes (que ce soient des journalistes – des écrivains ou des gens comme vous et moi), doivent payer des sociétés privées pour utiliser certains mots. Seule une centaine de mots est « libre » et les gens petit à petit n’utilisent plus que ceux ci. Un groupe de résistants invente alors son langage. Spasski, le héros, utilise une forme de langage appelé « monomonème »
« C’est le style monomonème, avec ses deux variantes : maniaque et large. C’est un style qui ne pardonne pas la médiocrité puisqu’il consiste à n’utiliser qu’un mot par phrase, avec ses dérivés, et à démultiplier les effets de rythme et de scansions autour de ce seul mot »
De « collexiqueur » en « sémantiquaire », Spasski ne renoncera pas à la lutte pour la défense de la langue et nous entraîne dans un voyage fabuleux dans une novlangue inventive.
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Annah à travers la harpe
Un père, anéanti par la mort de sa fille, Annah à l’age de deux ans, va la chercher aux enfers. Rongé par la culpabilité, il consulte un homme étrange qui lui indique le chemin vers Annah.
« Votre fille est morte le 7 mai 2009 devant le 530, avenue du Prado. Elle portait une robe Bior en tissu émotif, qui devient toute rouge quand elle court, des brassards fluo, un bracelet GPS à chaque poignet et un radar de hanche anti-collision. Rien de tout çà n’a évité l’accident. »
Le père « retrouve » Annah, dansant et chantant sur la Harpe.
D’un bond irréfléchi, Anna venait de décoller de sa corde – elle flotta un instant en l’air – puis retomba en ripant sur ce qui était présent, ni plus ni moins qu’une ligne de vie – pour elle comme pour moi. Le son que produisit ce saut et le léger frotté de la corde fut extraordinaire – un son infiniment profond de contrebasse, qu’Annah répéta quatre fois, sans la moindre crainte, tout en avançant – course, saut, touché de corde, slap, saut, pop, gratté de pied dans le roulis braillard de ses rires sonores qui scandaient l’intensité de sa jubilation, cette espèce de joie explosive qu’ont les enfants à découvrir, par eux mêmes, quelques chose de neuf et d’inouï.
– Papa fait ! intima Annah.
Terrifié par le vide, je fis glisser mon pied gauche sur ma corde et un si de crécelle sinua dans l’espace.
– En’cor ! cria Annah.
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C@ptch@
Des enfants encore, vivent seuls à l’orée de la Ville. Leur but est de traverser une « barrière » qui les ramènerait vers leurs parents en ville. Mais lors de cette traversée, des êtres invisibles les attaquent et les dématérialisent. Il ne subsiste alors de ces enfants que quelques lignes de codes, parfois un jeu, une musique, un fichier jpeg, sur le réseau qu’est la C@ptch@.
Jusqu’au jour où un groupe d’enfants a une idée pour retourner en ville…..
Une nouvelle fascinante et terrifiante.
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So Phare Away
La ville est composée de phares d’où émettent des personnes. Plus de lien entre les gens, se retrouver dans les rues à pied équivaut à un mort certaine tant le trafic routier est dense. Au milieu de cette ville où chacun est isolé, une marée est annoncée. Une marée d’asphalte au cours de laquelle vont émerger de nouveaux bâtiments. La société privilégiée vit en haut de la ville verticale et les bas-fonds sont réservés aux pauvres. Farrago décide lors de cette marée de rendre visite à son amoureuse Sofia….
« Je viens. La lueur de Farrago m’est arrivé d’une salve, dans un crépitement ultra rapide, elle a ricoché sur les vitres de la tour des Nombres. Elle m’a trouvée. Il est fou. Son phare est à onze kilomètres du mien, la marée est en pleine hausse, les siphons se forment déjà au pied des immeubles et il va prendre sa chaloupe. Il va profiter de la portance liquide de l’asphalte pour venir. Quand le monde est solide, trois cent cinquante jours par an, la ville n’est qu’une route. Il nous est donc impossible physiquement d’être ensemble. Pour les épharés comme nous, qui vivons chichement de nos lueurs, conduire un véhicule à roues est inimaginable. »
Les hybres : un sculpteur fabuleux nous explique sa façon de sculpter (un univers artistique digne de Jérôme Bosh). Absolument à lire….
Une nouvelle dédicacée pour Jean Fontaine

source photo
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Une stupéfiante salve d’escarbilles
Une course fantastique dans les airs à Alticcio (ville entrevue dans la « Horde du contrevent ») : un Pégase-dragon étonnant, un velivélo, des drakkairs, et un Barf « mi-Dieu-mi-chat-mi-sylphe-mi-ours » donne le départ de cette course sans pitié.
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Sam va mieux
Sam est un enfant qui a survécu à l’apocalypse. Lui et son père déambulent dans les rues désertes. Sam a un défaut de langage …mais il ira mieux, grâce à son père …à moins que ce ne soit l’inverse. Des sentiments paternels très forts où comment survivre sans devenir fou…
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« Sam est mon fils. Il a eu trois ans bientôt. Je suis son vrai père, je l’ai adopté. Sans lui, je serai mort.Il me tient debout, rien qu’à être là, à respirer, tout à côté de moi, chaque nuit. Et le jour, il a un ruisseau dans les yeux, on dirait que le monde vient y boire. J’adore la voix de Sam. Il élocute mal, dyslexie ou dysphonie, tout ça , je l’éduque »
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En conclusion ; Voici les nouvelles qui m’ont le plus marquées, les autres sont aussi magnifiques : « Le bruit des bagues », « El Lévir et le livre », et « aucun souvenir assez solide » qui donne le titre au recueil, valent également le détour.
Au delà des histoires captivantes, Alain Damasio développe une réflexion sur la place des liens dans notre société, les relations parents enfant, et le monde que nous laisserons à nos enfants…..
Challenge Lieux imaginaires chez Coralie et top 50 chez Claire dans la catégorie « Un livre non lu d’un auteur que vous adorez »

