Lointain intérieurs – Animaux fantastiques – Henri Michaux

jeudi-poesie

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Aujourd’hui, j’ai choisi un extrait d’un long poème en prose d’Henri Michaux (Lointain Intérieur paru en 1938), poète, peintre et écrivain d’origine belge.

Dans le monde des animaux, tout est transformation. Pour dire la chose d’un mot, ils ne songent qu’à cela. Dites-moi, qu’y a-t-il de plus protéiforme que le cheval ?
Tantôt phoque, il vient prendre l’air entre deux cassures de la banquise, tantôt farouche et malheureux, il écrase tout comme un éléphant en rut.
Vous jetez par terre une bille, c’est un cheval. Deux billes, deux chevaux, dix billes, sept à huit chevaux au moins….quand c’est l’époque.
On en voit à grands flots sortir d’une gare, à l’improviste, agitant leur grande tête qui peut devenir si folle, si folle ; et c’est la ruée, vers la sortie, piétinant tout se qui se trouve sur leur chemin et vous-même, pauvre malade, qui pour une illusion de liberté vous étiez traîné vers la gare, vers les trains , qui, pour un peu d’argent, transportent à la mer, à la montagne.
En rentrant, vous les retrouvez semblables cette fois plutôt à des caniches collants, qui demandent toujours à être dorlotés, qui trouvent toujours une porcelaine à casser ou un nez fin de statue à opposer désastreusement à un bloc de matière plus résistant.
Et on n’ose les renvoyer à cause de l’escalier où, se changeant une fois de plus en gros percherons, ils feront, outre un bruit du tonnerre qui attirera tous les locataires, de grands dégâts en eux-mêmes et au dehors (jarrets brisés et ce qu’on ne prévoit que trop aisément!). Douze chevaux dans un escalier, le plus large y suffirait à peine, et d’ailleurs dans le cas d’escaliers plus grands, il y aurait beaucoup plus de chevaux, des escadrons de chevaux (l’imagination malade ne se trompe jamais dans ses comptes. Elle ne fait jamais trop petit, jamais, jamais).
Les naseaux en feu, l’encolure raide, et les lèvres convulsées, ils dévalent de tous côtés ; rien, absolument rien ne peut les en empêcher. Mais assez parlé des chevaux. Le spectacle est partout, et généreusement offert.

Quand la maladie, aidée des tambours de la fièvre, entreprend une grande battue dans les forêts de l’être, si riche en animaux, que n’en sort-il pas ?