Adieu, l’école est finie

plumes2Journal d’un stylo – 5 juillet 2014

Samedi, dernier, Valentyne m’a sorti de mon placard. Enfin ! depuis le temps que j’attendais ce moment de revoir la lumière. Huit long mois de séparation, presque une gestation : j’ai eu le temps de ruminer, de faire le point.
Valentyne m’a regardé et m’a dit « Mon cher Stylo » (très louche cela, elle devait avoir des choses à me demander) , « j’ai besoin de toi ». Huit mois qu’elle ne me regarde pas et qu’elle n’écrit que sur son clavier et pas dans son « carnet des préjudices graves», huit mois que je me dessèche et que je perds la tête.
Elle m’a emmené à la bibliothèque où était organisée une exposition « L’école en 1950 »
La reconstitution était parfaite : des bancs de bois, des tables pleine d’encre avec des inscriptions où on sent poindre la joie de vivre « Marie aime Lebrac», une affiche grandeur nature de Tigibus et de ses acolytes qui font ripaille autour d’une boîte de sardines. Des cartes aux murs me rappellent d’étranges contrées : Yougoslavie, Tchécoslovaquie, RDA, URSS, Congo Belge et Rhodésie.

Je frétillais avec allégresse sur ma bonne mine. Ah ! reprendre du service, écrire une rédaction, une lettre, n’importe quoi, mais écrire. Ecrire la douleur de la séparation, la beauté des larmes qui dégoulinent sur un visage d’enfant, quand il comprend que la chèvre de Mr Seguin va se faire manger par le loup….

Mais là, j’ai déchanté quand Valentyne m’a dit : « Sur un coup de tête je me suis inscrite à la dictée, niveau CM2, je compte sur toi ».

J’en ai eu l’encre figé dans mes veines, je suis pas super bon en orthographe alors j’ai biaisé ; j’ai remplacé certains mots que je ne connaissais pas par des synonymes.

Il faut vous dire aussi que j’ai un gros problème avec les « c » et les « ss » : Ecrit-on glacé ou glassé ? embrasser ou embracé ?

J’ai aussi un problème avec les « ai » et les « è ». Dit on fête ou faites, au fait ?

Je ne vous parle pas les mots en « an » et en « en », des 6 façons d’écrire le son « Hein », le  » m » devant le « b » et le « p », l’exception de « bonbon », le « x » à hiboux, cailloux, genoux …

Ma hantise, c’est la conjugaison avec ses fautes aussi inattendues qu’irréparables : je mélange tout, le plus que l’imparfait, le futur intérieur, le subjonctif : « encore eut-il fallu que je retrouivaillate mes amis » et aussi « Encore eut-il fallut que je le susse » (qui conjugue la difficulté du subjonctif avec le piège du « c » et des 2 « S » !!) Bref, je tremblai de tout mon membre, stressé comme pas permis. Et les participes passés….ET….la liste est trop longue.

Voilà je me pose toujours des questions existentielles ! Alors la confiance que Valentyne a mis en moi, ce samedi, je me devais de l’honorer. J’ai rajouté des mots comme messages subliminaux pour qu’elle m’aime enfin et ne me remette plus au placard. J’ai fait du mieux que j’ai pu, c’est quand même elle qui m’ a mis le pied à l’encrier, j’ai fait des efforts, j’ai sué sang et eau pour qu’elle soit fière de moi.

doineau 2

La maîtresse était belle et souriante, un brin aérienne pour ne pas dire céleste. Si, plus jeune, j’avais eu des maîtresses si enjouées, sûr que j’aurais mieux écouté en classe. Elle articulait bien et nous a bien laissé le temps avant de ramasser les copies.

Voici ma dictée :
<< Le chemain froid lonjait la froide riviaire. Sur l’autre quai, les maisons s’espaçaient, chaqune antourée d’une étandue de terrin deffriché avec amour. Derriaire ce terrin, et des de côté, c’était le bois qui venait jusqu’à la berje, font vert intensément sombre sur lequel s’embrassait quelques troncs de boulots blans et nus. De l’autre côté du chemain, la bende de taire qu’on avait deffrichée était plus large et continu : les maisons plus raprochées semblaient prolonjer le vilage en aven-garde.>>
D’après Louis Emon, Maria Chatdelaine

J’en profite pour vous montrer une photo de mon aïeul : on est beau hein dans la famille !

Doineau

A la fin de la dictée, je l’ai sentie pleine d’inquiétude, Valentyne. Pas sûr qu’elle ait son certificat d’étude, ni que le bilan soit glorieux, avec moi comme stylo à cancre…..

Et pour les curieux voici la vraie dictée
<< Le chemin glacé longeait la rivière glacée. Sur l’autre rive, les maisons s’espaçaient, chacune entourée d’une étendue de terrain défriché. Derrière ce terrain, et des deux côtés, c’était le bois qui venait jusqu’à la berge, fond vert sombre sur lequel se détachaient quelques troncs de bouleaux blancs et nus. De l’autre côté du chemin, la bande de terre qu’on avait défrichée était plus large et continue : les maisons plus rapprochées semblaient prolonger le village en avant-garde.>>
D’après Louis Hémon, Maria Chapdelaine

Les mots collectés par Asphodèle

Séparation, revoir, froid, embrasser, larmes, famille, fête, ripaille, allégresse, bilan, amour, quai, adieu, joie, ami, inquiétude, irréparable, intensément.

Les épisodes précédents

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46 réflexions au sujet de « Adieu, l’école est finie »

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  2. Je n’avais pas compris (parce que je n’avais pas bien lu) que ce stylo tenait le journal de sa thérapie. Je trouve que c’est une belle idée et le texte d’aujourd’hui m’a fait sourire : peut-être n’a-t-il guère de compétences en haurtographe, mais il exprime bien ses sentiments !

  3. 😳 je n’ai pas commencé à lire le journal du stylo, Valentyne, j’attends un grand jour de pluie 😆
    Mais je sais que tu débordes d’imagination et que tu manies les chiffres et les lettres avant autant de plaisir et de talent 😉
    Bon we et gros bisous

  4. Coucou Valentyne !
    Justement, hier, j’ai corrigé la dictée du brevet avec les six courageux 3e qui sont revenus après le brevet. Nous avons eu une saine discussion sur les accords sujet/verbe. J’ai aussi partagé quelques perles contenues dans les rédactions : Polinstant, la plus part, nein porte te quoi.
    Bises

  5. Pauvre Bique !!! On lui demande l’impossible faut dire ! Il n’a pas de correcteur d’orthographe intégré à son capuchon lui, contrairement au ttx !!! Quelle misère… Mais tu rends très bien l’atmosphère des écoles d’antan… et vive les dictées, moi j’adorais ça !!! Comme quoi ! 😉 Bises et je vais rattraper les épisodes de Mr Bique qui me manquent, il faut dire qu’il galope sur sa Jument Verte, moi je suis à pinces et je rame pour le suivre !!! 😆

  6. Il est trop adorable ce stylo, il ne faut plus l’oublier aussi longtemps le pauvre, il a manifestement besoin d’un peu d’entraînement. Ce qui m’a bien fait rire c’est le mot embracé, mon cher fils avait fait encore plus fort « anbracer » j’ai eu beaucoup de mal à comprendre ce mot bizarre, il a fallu que je le dise à haute voix pour comprendre, il faut dire que trois fautes dans le même mot c’est un must. Et côté phrase bizarre en voici une autre « Le veau tourniche dans les arbres »

  7. Même si elle est formatrice, la dictée a tué dans l’œuf bien des vocations littéraires. Aujourd’hui on y revient de façon ludique et c’est B. Pivot à qui en revient le mérite…

    • Coucou Célestine
      Tout à fait toi cette maîtresse 🙂
      « Les personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé est faite exprès »
      Bises et bonnes vacances 🙂

    • Recoucou Célestine 🙂
      Encore mieux : « Les personnages de ce roman étant réels, toute ressemblance avec des individus imaginaires, serait fortuite. »
      Raymond Queneau (Le Dimanche de la vie)

  8. Je profite d’un entracte entre deux vacances pour rattraper quelques retards!!!
    Voilà une leçon fort bien traitée mais à quoi bon de se martyriser les neurones sachant qu’à l’heure actuelle tout change et pour preuve 😉

    La Commission Européenne a du trancher : après la monnaie unique, l’Union Européenne va se doter d’une langue unique, à savoir… le français.

    Trois langues étaient en compétition : le français (parlé dans le plus grand nombre de pays de l’Union), l’allemand (parlé par le plus grand nombre d’habitants de l’Union) et l’anglais (langue internationale par excellence). L’anglais a vite été éliminé, pour deux raisons : il aurait été le cheval de Troie économique des Etats-Unis et les Britanniques ont vu leur influence limitée au profit du couple franco-allemand à cause de leur réticence légendaire à s’impliquer dans la construction européenne.

    Le choix a fait l’objet d’un compromis, les Allemands ayant obtenu que l’orthographe du français, particulièrement délicate à maîtriser soit réformée, dans le cadre d’un plan de cinq ans, afin d’aboutir à l’eurofrançais.

    1. La première année, les sons actuellement distribués entre ‘s’, ‘z’, ‘c’, ‘k’ et ‘q’ seront répartis entre ‘z’ et ‘k’, ze ki permettra de zupprimer beaukoup de la konfuzion aktuelle.

    2. La deuzième année, on remplazera le ‘ph’ par ‘f’, ze ki aura pour effet de rakourzir un mot komme ‘fotograf’ de kelke vingt pour zent.

    3. La troizième année, des modifikazions plus draztikes seront pozzibles, notamment ne plus redoubler les lettres ki l’étaient ; touz ont auzi admis le prinzip de la zuprezion des ‘e’ muets, zourz éternel de konfuzion, en efet, tou kom d’autr letr muet.

    4. La katrièm ané, les gens zeront devenu rézeptif à dé changements majeurs, tel ke remplazé ‘g’, zoi par ‘ch’, – avek le ‘j’ – zoi par ‘k’, zelon les ka, ze ki zimplifira davantach l’ékritur de touz.

    5. Duran la zinkièm ané, le ‘b’ zera remplazé par le ‘p’ et e ‘v’ zera lui auzi apandoné – au profi du ‘f’, éfidamen – on kagnera ainzi pluzieur touch zur no klafié.

    Un foi ze plan de zink an achefé, l’ortograf zera defenu lochik, et lé chen pouron ze komprendr et komuniké.

    Bises Valentyne et à très bientôt.
    Domi.

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