Du côté de Canaan – Sebastian Barry

canaan

Lecture commune avec Eeguab

Lily Bere, la narratrice a 89 ans et nous annonce dès le premier chapitre son intention de se suicider. Le motif de cet acte qu’elle projette et murit ? Son petit-fils, en rentrant de la Guerre du Golfe, s’est pendu. Elle n’a plus de raison de vivre.
« Premier jour sans Bill. Bill n’est plus. Quel bruit fait le cœur d’une femme de quatre-vingt-neuf ans quand il se brise ? Sans doute guère plus qu’un silence, et certainement un petit bruit ténu. »
Avant de mettre sa décision d’en finir à exécution, elle veut raconter sa vie depuis sa naissance en Irlande, son départ de l’Irlande dans des conditions très difficiles, pourchassé avec son fiancé par l’IRA, un peu après la première guerre mondiale. Lily évoque avec un sens du supense impressionnant 80 ans de sa vie, la vie d’émigrante aux Etats Unis, la seconde guerre mondiale, son mariage qui tourne court, le départ de son fils pour la guerre du Vietnam et enfin l’histoire de ce petit-fils qu’elle a élevé depuis ses deux ans. De rencontres en rencontres aux Etats Unis, Lily brosse un portrait de sa vie mais aussi celle de son pays d’adoption, plein de contradictions, un pays où on peut être libre mais où les noirs sont des « sous-humains », un pays qui part en guerre dans le monde mais qui ne sait pas s’occuper des vétérans qui reviennent de ces guerres.
Le style fluide de Sebastian Barry m’a énormément plu. Cette vieille dame, solide face à l’adversité m’a émue et fait rire aussi parfois (voulant se suicider elle décide de se faire soigner de sa constipation, quitte à mourir autant mourir en bonne santé ;-))

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Mon passage préféré (p74-75) : le départ vers l’Amérique

I

Bien que voyageant ensemble, nous ne nous connaissions pas, et c’est ce que démontra très vite et douloureusement la situation.
Nous n’étions plus ni l’un ni l’autre ce que nous avions été. Mon père avait écrit en grande hâte quelques lettres pour nous sur son papier officiel, en nous appelant Timothy et Grainne Cullen, frère et soeur, si nous avions besoin, mais pour brouiller les choses, il avait inscrit nos vrais noms sur la liste des passagers du bateau, au cas où l’utilisation de faux noms rendraient plus difficile notre naturalisation en Amérique comme des gens autres que ceux que nous étions, et donner nos noms qui n’étaient pas nos noms, jusqu’à ce que les choses paraissent se tasser, et nous marier enfin tels que nous étions en donnant nos vrais noms au prêtre. Comme des êtres humains normaux. Sans sentence de mort suspendues sur nos têtes.
Thimothy Cullen, ou Tadg Bere, je ne savais pas bien qui il était, de toute façon.
Peut être qu’en Irlande, jusqu’au moment où il nous fallut partir, il était Tadg Bere. Peut-être la peur l’avait-elle transformé, comme l’un de ces petits tremblements de terre sous les fermes qui changent le cours des ruisseaux et assèchent les puits, bien qu’il n’y ait aucun signe de modification dans le paysage. Maintenant je me colletais avec un Tadg inconnu , j’étais prise de panique à l’idée que je ne l’avais jamais véritablement connu, que je m’étais laissée aller à me fiancer à un homme parce qu’il avait connu mon frère chéri, et m’avait écrit une gentille lettre, un garçon qui avait survécu à des années de carnage effréné. Comme si l’amour que je portais à Willie était bizarrement transmissible, et même s’il s’agissait peut être d’un amour réel, il était aveugle et sourd.

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En conclusion : un livre où j’ai appris énormément sur le plan historique au sujet d’évènements qui se sont déroulés en Irlande, aux USA. Le postulat de départ choisi par l’auteur de dire que Lily va se suicider peut paraître gênant mais pour ma part cela ne m’a pas déplu : on sent Lily libre de dire tout ce qu’elle ressent, pas de mensonges ou de faux semblant. De la sincérité avant tout ….
Et maintenant allons voir ce qu’elle en a pensé la Comtesse du Barry. (J’espère que Edulac Eeguab me pardonnera ce jeu de mot facile)

CHALLENGEmoisamericain

Challenge américain chez Noctenbule
L’auteur est Irlandais mais la majeure partie du roman se déroule aux USA.
Rendez vous dans quelques jours pour une autre citation.

L’Archet – Charles CROS

jeudi-poesie

Allez chez Asphodèle lire les trouvailles des autres participants 😉

L’archet

Elle avait de beaux cheveux, blonds
Comme une moisson d’août, si longs
Qu’ils lui tombaient jusqu’aux talons.

Elle avait une voix étrange,
Musicale, de fée ou d’ange,
Des yeux verts sous leur noire frange.

*

Lui, ne craignait pas de rival,
Quand il traversait mont ou val,
En l’emportant sur son cheval.

Car, pour tous ceux de la contrée,
Altière elle s’était montrée,
Jusqu’au jour qu’il l’eut rencontrée.

*

L’amour la prit si fort au coeur,
Que pour un sourire moqueur,
Il lui vint un mal de langueur.

Et dans ses dernières caresses:
« Fais un archet avec mes  tresses,
Pour charmer tes autres maîtresses. »

Puis, dans un long baiser nerveux,
Elle mourut. Suivant ses voeux,
Il fit l’archet de ses cheveux.

*

Comme un aveugle qui marmonne,
Sur un violon de Crémone
Il jouait, demandant l’aumône.

Tous avaient d’enivrants frissons
A l’écouter. Car dans ces sons
Vivaient la morte et ses chansons.

*

Le roi, charmé, fit sa fortune.
Lui, sut plaire à la reine brune
Et l’enlever au clair de lune.

Mais, chaque fois qu’il y touchait
Pour plaire à la reine, l’archet
Tristement le lui reprochait.

*

Au son du funèbre langage,
Ils moururent à mi-voyage.
Et la morte reprit son gage.

Elle reprit ses cheveux, blonds
Comme une moisson d’août, si longs
Qu’ils lui tombaient jusqu’aux talons.

 

Charles CROS
Recueil : « Le coffret de santal »