Paul Auster – Le voyage d’Anna Blume

le voyage d anna blume

Dystopie. Dans un futur proche (mais non daté), Anna Blume quitte son pays pour se rendre dans un autre pays (aucun des deux n’est nommé dans le livre). Son frère journaliste a disparu alors qu’il menait une enquête. Elle raconte son arrivée dans ce monde post-apocalyptique où survivre est un combat de tous les instants.

.
On se dit que tôt ou tard tout cela devait prendre fin. Les choses tombent en morceaux et s’évanouissent alors que rien de neuf n’est créé. Les gens meurent et les bébés refusent de naître. Durant toutes les années que j’ai passées ici, je ne peux me rappeler avoir vu un seul nouveau-né. Et pourtant il y a toujours de nouveaux arrivants pour remplacer les disparus. Ils affluent des campagnes et des villes de la périphérie, tirant des chariots où s’empilent en hauteur toutes leurs possessions, ou encore dans des voitures délabrées qui passent en pétaradant, et ils sont tous affamés, tous sans abris.

;

Un livre très sombre avec quelques lueurs d’espoir et l’écriture envoutante de Paul Auster. Tout et très habilement construit : son arrivée dans cette ville où c’est la loi du plus fort qui prime, où il n’y a plus de société, plus de solidarité. Un gouvernement fantôme organise la « levée des corps » décédés pendant la nuit pour éviter les épidémies, ce même gouvernement vend des licences aux gens pour ramasser les ordures et trouver des objets à recycler et c’est à peu près tout ce que fait ce gouvernement.
Anna cherche son frère et un autre journaliste. Elle erre dans les rues, trouve un travail de « chasseur d’objets » ou elle arpente les rues avec un caddie accroché par une corde à sa taille pour qu’on ne le lui vole pas.

,
Néanmoins c’est l’activité que j’ai tentée – la chasse aux objets. J’ai eu la chance de commencer avant que mes fonds ne soient épuisés. Même après avoir acheté le permis (dix-sept glots), le chariot (soixante-dix glots), une laisse et une nouvelle paire de chaussures (cinq glots et soixante et onze glots), il me restait encore plus de deux cents glots. C’était une bonne chose, car j’avais ainsi droit à une certaine marge d’erreur, et à ce moment là j’avais besoin de tout ce qui pouvait m’aider. Tôt ou tard ce serait périr ou nager, mais j’avais alors quelque chose à quoi me raccrocher : un morceau de bois flottant, un bout d’épave pour soutenir mon poids.

,

,
Dans ce monde où le suicide est monnaie courante, Anna ne baisse pas les bras, rencontre quelques personnes qui lui permettent de garder espoir. Elle se rappelle aussi le temps heureux de son enfance et consigne son histoire dans un cahier (une longue lettre à un destinateur inconnu).

;
Un dernier extrait (Anna a trouvé refuge dans la bibliothèque de la ville)

,

De jour comme de nuit , il fallait des bougies quand on se rendait dans les rayons. Les livres étaient situés au coeur du bâtiment, et il n’y avait donc de fenêtres dans aucun des murs. Comme l’électricité était coupée depuis longtemps, nous n’avions d’autre solution que de transporter notre éclairage. A une époque, disait-on, il y avait eu plus d’un million de volumes dans la Bibliothèque nationale. Ce nombre avait été fortement réduit avant mon arrivée, mais il en restait encore des centaines de mille, et c’était une avalanche imprimée ahurissante. Il y avait des livres posés droit sur leur étagère tandis que d’autres jonchaient chaotiquement le plancher et que d’autres étaient encore amoncelés en tas désordonnés. Il y avait bien un règlement de la bibliothèque – et il était rigoureusement appliqué – qui interdisait de sortir les livres hors du bâtiment, mais un grand nombre d’entre eux avaient néanmoins été dérobés et vendus au marché noir. De toute façon, on pouvait se poser la question si la bibliothèque en était encore une. Le système de classement avait été complètement chamboulé , et, avec tant de volumes déplacés, il était virtuellement impossible de trouver un ouvrage qu’on aurait précisément recherché. Si on considère qu’il y avait sept étages de rayonnages, dire qu’un livre n’était pas à sa place revenait à déclarer qu’il avait cessé d’exister. Même s’il était physiquement présents dans ces locaux, le fait était que personne ne le retrouverait jamais. J’ai fait la chasse à un certain nombre de vieux registres municipaux que voulait Sam, mais la plupart de mes incursions dans ces locaux n’avaient d’autre but que de ramasser des livres au hasard. Je n’aimais pas beaucoup me trouver là, car je ne savais jamais sur qui je pouvais tomber et je devais respirer cette humidité froide avec son odeur de pourriture moisie. J’entassais autant d’ouvrages que je pouvais sous mes deux bras et je remontais dans notre chambre. Les livres nous ont servi à nous chauffer pendant cet hiver. En l’absence de tout autre combustible, nous les brûlions dans le poêle en font pour faire de la chaleur. Je sais que cela a l’air épouvantable, mais nous n’avions vraiment pas le choix. C’était soit cela, soit mourir de froid. L’ironie de la chose ne m’échappe pas – passer tous ces mois à travailler à un livre en même temps que nous brûlions des centaines d’autres ouvrages pour nous tenir chaud. Ce qu’il y a de curieux, c’est que je n’en ai jamais éprouvé de regret. Pour être franche, je crois que j’avais en fait du plaisir à jeter ces livres dans les flammes. Peut-être cela libérait-il quelque colère secrète en moi ; ou peut-être était-ce simplement une façon de reconnaître que ce qui leur arrivait n’avait pas d’importance. Le monde auquel ils avaient appartenu était révolu, et au moins ils étaient à présent utilisés à quelque chose.

,

n

En conclusion : un roman sombre mais avec une mélodie indiscutable, je me suis attachée à Anna et ses amis.

Challenge « anticipation » organisée par Julie et « Mois américain » de Noctenbulechallengeanticipation

CHALLENGEmoisamericain

 Et le challenge lire sous la contrainte de Philippe où la contrainte est GN+GN (groupe nominal+ groupe nominal)

challenge-contrainte