Gaétan Soucy – La petite fille qui aimait trop les allumettes

la_petite_filleIl est difficile de parler de ce roman, sans en dévoiler trop. Le lire est tout d’abord un choc.

L’histoire, en quelques mots : Un matin deux frères découvrent leur père, mort. Leur façon de parler est plus qu’étrange, certains mots sont inventés (secrétarien), à d’autres moments la syntaxe est boiteuse et de temps en temps fuse une expression qui semble tirée (ou plutôt déformée) de la bible. Puis peu à peu, on apprend, que le père, ancien religieux,  vivait reclus dans sa ferme avec les deux enfants. Ceux-ci n’ont jamais été en contact avec d’autres personnes que ce père qui distribuait coups et sermons alambiqués toute la journée. Un des frères, le narrateur, décide de partir au village tout près pour trouver un cercueil pour enterrer  le père. La suite du livre explique cette odyssée au village, et toutes les conséquences immédiates de la mort du père.

Le narrateur n’a pas de prénom tout au long du livre, (on découvrira ce prénom dans les toutes dernières pages du livre). Il appelle son frère « frère » sans majuscule, on ne saura pas non plus son prénom. Dans la vie de ces enfants, des adolescents plutôt, quelle misère, matérielle mais surtout intellectuelle et sociale.

Le narrateur, en se rendant au village avec cheval (toujours sans majuscule bien que cheval soit un personnage à part entière), va se trouver conforté au monde. Quand les évènements le dépassent trop, il se fige et se renferme sur lui-même.

Il ajouta : « Nous ne vous ferons aucun mal » ce qui était déjà ça de gagné. Et ma figette ne fut plus qu’un souvenir parmi d’autres, je les suivis. Si on ne me fait pas de mal, voyez-vous, on peut tout obtenir de moi, telle est la leçon à tirer. C’est parce que je suis né sous le signe astronomique de l’âne que je suis comme ça, à l’instar des veaux et des gorets. (p65)

Le choc chez les villageois est  rude car la façon de s’exprimer du narrateur est assez perturbante : La rencontre a lieu dans une église et  pour lui une femme est soit une pute soit une sainte vierge (le vocabulaire des deux enfants est très réduit et le mot femme leur est inconnu)

– Papa est mort!
Lui criai-je. Mais comprenait-elle seulement les bruits que je produisais avec ma bouche? Je ne pouvais décider de son sexe, rien qu’à la voir, si c’était une sainte vierge ou une pute, ou et caetera, en raison de mon manque d’expérience et du reste, et de tout ce qui ne s’explique pas par les dictionnaires, parce que n’allez pas croire, je connais mes limites. Et on ne peut pas se fier aux enflures à ce sujet, j’en suis la preuve ambulante. Je voulus tout de même lui témoigner tant bien que mal mes intentions irréprochables, je n’aime pas voir souffrir pour rien. Je lui criai encore: « Dieu t’assiste vieille pute! » Parce que j’avais une chance sur deux.

Les enfants, laissés à eux même sont émouvants, tant dans leur façon de raisonner que dans leur propos et les mots qu’ils inventent. Le lecteur, après quelques 150 pages, découvrira ce qu’est le Juste Châtiment et refermera le livre abasourdi (pour le moins), à la fois effaré (pauvres enfants) et enchanté (quelle inventivité dans la narration).

Un extrait (p 108) :

Vous ne pouvez pas savoir combien il y en avait, il me fallait quatre heures rien que pour les étaler, je parle de l’argenterie évidemment. Je ne sais pas si j’ai songé à l’écrire, mais la propreté cela me rend folle dans le bourrichon, tellement j’aime. Il y avait des cuillères de toutes sortes, de toutes les familles, et des soucoupes et des assiettes et des coupes et des couteaux, je n’en finirais pas si je disais tout ce qui se trouvait enfoncé dans les tiroirs et les armoires de la salle de bal, en or, en cristal, en argent, en verre de bristol, en pierre philosophale, en tout ce que vous voudrez de plus émerveillant. J’examinais chaque ustensile, c’est ainsi que ça se nomme, je n’aurais pas toléré la moindre brume, tout devait étinceler, j’astiquais, j’asticotais jamais ma jupe n’aura autant servi et à meilleur usage. J’enlevais la poussière et les débris de marbre qui jonchaient le sol , encore ce verbe joncher, et je disposais mes poupées de lumière avec mille et un soins d’amour sur la plus haute des fenêtres où le soleil pénétrait pour venir danser dans ce merveilleux labyrinthe de netteté et d’arrêtes éclatantes. Je crois que ces ustensiles, il y en avait bien quarante-cent-cinquante- treize, toutes les fois que j’ai essayé de les compter à mesure que je les rangeais en rangée, ma tête se mettait à tourner dans le mauvais sens et je perdais le chiffre tellement il y en avait combien, sur mon cœur. Il m’arrivait de valser tout autour, mes pieds nus sur la froideur des dalles amochées. Mais la plupart du temps, les bras étendus  tel un engoulevent, je restais debout à les contempler, sans bouger plus qu’une souris apeurée, et je sentais toutes les tristesses et les désemparements tomber de mes ailes, comme au printemps tombent des toits les stalactites de glaçons, que père de son vivant appelait des tsoulala, car il avait été missionnaire au japon à l’époque où il était beau gosse, ne me demandez pas où ça se trouve, quelque part de l’autre côté de la pinède.

Challenge : Québec en septembre de Karine et  Yueyin

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