olivia-desir-histoireQuand Valentyne m’a sorti du placard, lavé avec une éponge toute douce, puis lustré avec un torchon propre, j’ai senti qu’il se passait quelque chose d’inhabituel. D’habitude, elle ne prend pas autant soin de moi, elle me met direct dans le lave-vaisselle à 70 degrés et ne m’adresse pas la parole. Ensuite, quand elle a sorti son téléphone pour me prendre en photo, je ne me suis plus senti de joie. Je ne sais plus qui a dit cela mais j’allais enfin avoir « mon quart d’heure de gloire », la célébration de mon génie. 

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Elle m’a pris en photo sous soutes les coutures – enfin c’est juste une façon de parler, je suis une tasse, je n’ai pas de coutures, j’ai été moulé d’un bloc, moi !
Elle s’est servi un café, à l’intérieur de ma petite personne, cela va sans dire, je lui suis absolument indispensable ! Elle m’a parlé une voix douce pour m’expliquer :
« Vois-tu, Tasse, pour mon devoir d’écriture créative sur les objets, je dois partir à la découverte d’une tasse avec mes cinq sens, je te demande donc toute ton aide ». Je me suis tout de suite montré très coopératif, vous pensez bien, pour une fois qu’on me laisse la parole. Je vais donc vous raconter ma vie.
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Je suis né en Espagne, enfin non en Chine, mais c’est un peu pareil. J’ai vu le jour avec des milliers de tasses presque identiques à moi et à ma soeur (qui s’est incrustée là sur la photo, elle me fait un peu d’ombre, mais bon, je suis la tasse de droite, enfin de gauche puisque vous me faites face)

dali tasse
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Pour faire une tasse en porcelaine comme moi, il faut : du kaolin, de l’argile, de l’oxyde de fer, et bien sûr la recette secrète que je ne vous communiquerai pas ! Tout d’abord, on verse une pâte liquide dans un malaxeur géant, qui « touille » pendant plusieurs minutes. Ensuite, on verse la pâte obtenue dans des moules individuels (des moules en plâtre, hein, pas des moules à gaufres !). Parfois quand je verse dans la poésie surréaliste (oui, oui, cela m’arrive), je compare ces moules à des chrysalides qui m’ont fait devenir, moi une boule d’argile, une tasse élégante et élancée. Vous voyez le genre, la métaphore de la métamorphose de la chenille en papillon, et tutti-quanti !
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Après cette opération, des ouvriers nous posent délicatement sur un tapis roulant, direction un four qui nous saisit et nous porte à 1200 degrés (Celsius les degrés je précise, pas des degrés Fahrenheit de gnognotte).
A la fin de la cuisson dans ces fours, de petites mains graciles nous dessinent un motif Dalinesque (ou Dalinien je sais plus bien), qui une moustache joliment ouvragée comme la mienne, qui une bouche pulpeuse comme ma soeur. Et d’autres enfin avec une montre molle, je suis sûr que vous voyez ce que je veux dire! Rien de clinquant comme motif, de la sobriété avant tout !
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A la sortie de l’usine chinoise, on nous a mis mes mille jumeaux et jumelles dans des cartons direction, non pas un yacht de Luxe, mais un cargo immense ! Ce fut le début d’une traversée mouvementée par delà les mers du globe pour nous emmener au Musée Dali de Figueras!
Quels tourments que ceux de ma jeunesse ! Je ne vous parle même pas de la promiscuité là-dedans. Anse contre anse, dans cinq centimètres carrés, des cartons de tous côtés et juste un papier de soie pour nous protéger des chocs, j’avais du mal à bouger et à me dandiner. Et oui, je me dandine ! Et si vous ne me croyez pas, regardez à nouveau « la Belle et la Bête » de Walt Disney, avec la valse des tasses et des théières. On croit les tasses toutes raides mais c’est totalement faux, nous aimons danser et faire la fête tout la nuit. Mais revenons à ma vie, mon oeuvre !
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J’en ai vu du beau monde dans ce Musée : Le roi Juan, une française Marion Cotillon (à moins que ce ne soit Marion Cotillard, je n’ai pas la mémoire des noms), des starlettes sympathiques, des gens pleins de fric, des gros pleins de soupe, d’autres en short et en tongs et encore d’autres qui avaient la grosse tête.
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C’est dans ce musée que Valentyne m’a acheté !

Je suis légèrement fêlé. On ne le voit pas sur la photo, Valentyne m’a mis sur mon meilleur profil ! Cette fêlure m’est arrivée quand…..
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J’étais là sur la table à pérorer et je la voyais, la Valentyne, qui écrivait à toute allure, tapant sur son clavier si vite, que ma faïence résonnait toute seule. J’ai voulu lire par-dessus son épaule pour savoir si elle notait bien tout ce que je disais. C’est à ce moment-là que je me suis rendu compte qu’elle ne m’écoutait pas, Valentyne : mes souvenirs de tasse, de Chine, de cargos pris dans la bourrasque, d’Espagne, de fours brûlants, de mains graciles et de moustaches la laissaient de marbre.

Non, Valentyne écrivait une histoire sur une bête-tasse (une bêtasse ?) qui voulait partir en thalassothérapie dans un lave-vaisselle et le pire du pire c’est qu’elle fredonnait une chanson d’un italien de pacotille que je ne peux pas sentir « Comme un avion sans ailes » de Richard Cocciante, (à moins que ce ne soit Charlélie Couture, je n’ai pas la mémoire des noms) ! C’est l’histoire d’un type qui ne peut plus s’envoler parce qu’il a la carlingue froissée ! n’importe quoi ces paroles, sans queue ni tête, alors que moi je me mettais à nu pour lui raconter ma vie, je suis un grand incompris !
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Forcément, mon café n’a fait qu’un tour. Je suis tempétueux, c’est là mon moindre défaut ! Je lui ai craché tout mon contenu à la figure à Valentyne ! Parce que quand le Dali Lama est fâché, lui faire toujours ainsi !!!

Les mots collectés par Olivia
Tourment – tempétueux – bourrasque – envoler – avion – aile – papillon – métamorphose – chrysalide – soie – luxe – yacht – fric – clinquant – pacotille – cotillon – célébration

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Chez Cécile une histoire de thé