Au Japon, Mâ est une jeune étudiante en littérature française de 22 ans. Elle vit avec ses deux frères. Son frère aîné Eoyore a quatre ans de plus qu’elle et son autre frère est plus jeune de deux ans. Leurs parents partent pour 8 mois au Etats Unis, le père ayant eu une invitation d’une université américaine. Quoi de plus banal, ces trois « enfants » sont adultes et peuvent vivre seuls! le fait principal est que le frère aîné Eoyore est handicapé mental et que ces quelques mois vont se révéler difficiles pour sa soeur Mâ.
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J’ai trouvé ce personnage admirable. Si jeune, et elle arrive à s’occuper de son grand frère : celui-ci travaille dans un centre pour handicapé, il compose aussi de la musique, parle peu, écoute beaucoup. Le petit frère est moins présent, car concentré sur un examen difficile d’entrée à l’université. Pendant ces huit mois, on suit les aventures quotidiennes de ces trois jeunes gens, des interrogations de Mâ sur son enfance, ses pensées sur la difficulté que son père éprouve d’avoir à s’occuper d’un enfant lourdement handicapé (ce qui explique une sorte de dépression et cette « fuite » aux Etats Unis). Mâ ne baisse pas les bras devant les difficultés, elle prend son frère en charge, l’accompagne partout, se démène pour qu’il fasse du sport et soit heureux. Elle consigne tout cela dans un « journal de la maison » qu’elle envoie régulièrement à ses parents.
Un livre où la musique a également une très belle part, Eoyore étant compositeur. Il prend des cours auprès d’un Mr Shigetô qui, avec sa femme, veille également sur les trois jeunes gens.
Etrangement avec la distance, Mâ arrive à mieux dialoguer avec son père, à admettre que des fois elle est en colère contre lui et sa façon d’être avec Eoyore.
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C’est une histoire qui m’a particulièrement touchée du fait que mon frère aîné (de deux ans) était également handicapé mental. Je ne me suis pas du tout identifiée à Mâ (plutôt au père et à sa « fuite ») mais je l’ai beaucoup admirée pour son dévouement. Un livre pas du tout triste malgré un sujet difficile et comme le dit Eoyore à la fin, ces huit mois ont consisté en « une existence tranquille ».
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Un petit extrait (Mâ discute avec Mme Shigetô de son frère et d’une aventure qui leur est arrivée dans le bus où des écolières ont appelé Eoyore « raté ». En fait de discussion l’extrait choisi est plutôt un assez long monologue)
En réfléchissant sur ma conduite, je crois avoir malgré tout enfermé mon frère dans un lieu particulier. C’est la conversation de l’autre jour qu’y a fait penser. Je l’ai enfermé dans un lieu où il est traité comme quelqu’un de particulier, et non comme une personne de rien du tout. A des yeux extérieurs, évidemment cette particularité doit sembler encore au -dessous du rien du tout, comme le prouvent les mots « Espèce de raté! ». Moi, j’ai grandi dans l’idée que même si Eoyore était handicapé, puisque je l’aimais avec son handicap, ça n’avait pas d’importance. A partir d’un certain moment, j’ai même brandi son handicap comme un étendard…
Encore maintenant, je continue à penser que c’est la bonne attitude à avoir vis à vis de la société extérieure. Mais à l’intérieur de la famille, est-ce que je ne suis pas trop habituée à le considérer comme une personne étrange et drôle, en oubliant de le voir objectivement ? En oubliant que, mis à part son handicap, c’est une personne ordinaire, de rien du tout ? Dans le groupe de bénévoles auquel j’appartiens, on discute souvent de l’autonomie des handicapés, et pourtant je crois bien n’avoir jamais pensé à établir avec mon frère des relations qui tiennent compte de son autonomie.
L’autre jour, je regardai Eoyore distribuer des tracts à de inconnus sur le trottoir d’en face. J’ai rarement observé mon frère pendant un certain temps et à une telle distance. Et il m’a semblé que peut-être ses gestes étaient trop lents et son expression trop bonhomme, mais qu’il était en tout cas traité comme quelqu’un d’ordinaire par les gens qui lui prenaient ses tracts. C’était aussi la première fois qu’il entrait en contact de manière aussi directe avec la société extérieure, mais j’ai eu le sentiment de découvrir la personne vraiment ordinaire, cette personne de rien du tout qu’il est.
Ma participation au challenge d’Adalana où le mois de juin est consacré à Kenzaburô Oé.
participation au challenge A tous prix de Laure : prix Nobel de littérature en 1994.