Crépuscule

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Pierre était installé dans son rocking-chair sous la varangue. Il profitait de la douce chaleur tropicale du soir. Les yeux fermés, il se balançait doucement au rythme de la mer toute proche.

Dans sa main, son caillou comme il aimait l’appeler. Pour ce caillou , sans mauvais jeu de mot, il avait été capable de soulever des montagnes. Quelle douceur, il ne se lassait pas de le toucher, de le retourner dans tous les sens. Un caillou qui était en même temps doux et dur, froid quand il fermait les yeux et qu’il se contentait de le tenir au creux de la main, glacial mais capable de susciter les flammes de la passion. Rien qu’en suivant du doigt ses arrêtes irrégulières, Pierre sentait la densité de ce « caillou » si solide. Un caillou pour lequel il s’était enfuit au bout du monde, abandonnant emploi et amis, une passion dévorante !

Pierre trouvait toujours étonnant qu’une formule aussi sèche puisse donner une pierre aussi précieuse. C10H16, 10 atomes de carbone et 16 d’hydrogène, une formule si simple pour tant de dureté, et d’éclats. La pierre était une gemme d’un valeur inestimable, brute, anguleuse, calée ainsi dans la main amaigrie de Pierre, un prénom prédestiné pour sa folle passion.
Toujours les yeux fermés, il rapprocha le diamant de son visage, et immédiatement un flot de souvenirs l’envahit. Il se demanda la part de réalité et d’imagination de ses souvenirs : était ce possible que 20 ans après, le diamant exhale encore le parfum des mines Williamson en Tanzanie ? Sentir le diamant avait cet effet sur le vieil homme, il respirait le diamant et se trouvait propulsé dans la fourmillière de la mine à ciel ouvert. La sueur des ouvriers qui se démenaient pour extraire le précieux minerai sous le soleil de plomb, l’odeur chaude de la savane toute proche, la pause de midi où le cuistot, faisait revenir ragoût divers dans du curry massala, du poivre noir, parfois du ginger massala, clous de girofle ou coriandre. Les légumes hachés étaient rajoutés ensuite, la polenta venait compléter le menu quotidien.

A ces souvenirs olfactifs, Pierre eut envie de s’imprégner encore plus de ce pays qu’il avait abandonnée, il lécha le diamant qui conservait encore le goût de la terre d’où il avait été extrait. Un goût de cendre dans la bouche, se mêlait maintenant à ses souvenirs de repas pris en commun à la mine. La terre donnait des merveilles. Il avait beau connaître sur le bout des doigts le principe millénaire de formation des diamants, chaque fois qu’il repensait à cette mine, il était aussi ébahi qu’une jument découvrant son poulain se levant un quart d’heure après la naissance. Un cheval miniature, si petit et frêle, un moment rare et inoubliable.

D’un geste tremblant, Pierre essaya de rayer le diamant, impossible d’entamer ce roc. Il aurait fallu des outils; les ongles ne faisait que le chatouiller. il entendait juste un bruissement sur la suface dure. Il aurait fallu des outils pour tailler le diamant mais Pierre préfèrait le laisser brut. Brut, le diamant le transportait vers sa jeunesse, les cris des ouvriers de la mine, leurs efforts bruyants , les plaisanteries lancées autour de la marmite, le choc des gamelles de fer entre elles au moment de la vaisselle.

Enfin il ouvrit les yeux, releva les épaules et son corps vieilli dans le rocking-chair. Dans le soir couchant, le diamant était plein d’éclat, il paraissait par moment presque orangé et non plus clair comme il l’était en journée. Le soleil se réflétait pour un quart d’heure encore….

Pierre se dit qu’il avait bien choisi son lieu d’exil : où aurait il pu mieux être qu’en face du Rocher du Diamant pour finir sa vie ?

Les mots collectés par Olivia
diamant – carbone – mine – gemme – précieux – rare – cheval – étonnant – ami – épaule – solide – roc – fer – lance

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